Le dépistage et le traitement du cancer colo-rectal ont été fortement impactés ces deux dernières années d’une part, par la rupture des tests immunologiques survenue en 2019 et d’autre part par le confinement lié à la crise sanitaire de la COVID-19 à compter du mois de mars 2020.
La première vague de coronavirus a en effet interrompu la campagne de dépistage « mars bleu » mais a également décalé les prises en charge en raison du plan blanc mis en place et de la crainte de certains patients à venir en consultation.
Aujourd’hui, d’une manière générale et selon une récente étude française, les retards de diagnostic et de traitements des cancers, liés à la première vague, pourraient se traduire chez les patients « sans Covid » par un excès de mortalité par cancer de 2 à 5 %, cinq ans après le début de la prise en charge.
Plus particulièrement pour le cancer colo-rectal, l’Assurance Maladie évoque un retard de plusieurs centaines de milliers de tests de dépistage, de 182 000 endoscopies et de 15 000 interventions chirurgicales entre mi-mars et mi-juin 2020.
Les conséquences risquent bien évidemment d’être majeures pour les patients non diagnostiqués et pourraient bien être à l’origine de plaintes à l’encontre des professionnels de santé pour retard de diagnostic, susceptibles d’entrainer leur responsabilité sur la base d’une perte de chance.
Le cas :
Il s’agit d’une femme de 72 ans adressée par son médecin traitant en raison d’un test immunologique positif.
Cette patiente ayant déjà bénéficié d’une coloscopie en 2015 qui s’était avérée normale, bénéficie d’une téléconsultation avec son gastro-entérologue le 25 janvier 2020.
Une endoscopie est programmée pour le 25 mars 2020 mais reportée en raison du plan blanc.
Le geste sera finalement réalisé le 25 septembre 2020 et mettra en évidence une lésion de 3 cm, présentant un caractère invasif profond ne pouvant être réséqué endoscopiquement.
Une indication chirurgicale est donc posée.
Malheureusement, les suites post-opératoires seront compliquées par l’apparition d’une fistule puis d’un choc septique conduisant au décès.
La famille de cette patiente assigne en référé expertise la clinique, le gastro-entérologue et le chirurgien et un collège d’experts composé d’un gastro-entérologue et d’un oncologue est désigné.
La famille se plaint d’un retard de diagnostic et de prise en charge, d’un défaut d’information sur les risques encourus, des complications chirurgicales survenues et du décès de leur parente.
L’expertise :
La discussion a porté sur les éléments suivants :
- Indication
- Information concernant le geste
- Déprogrammation
- Information concernant la nécessité de suivi
- Re convocation tardive ? défaut d’organisation de la clinique ?
- Perte de chance d’éviter le décès
Si les causes initiales du retard de diagnostic et de prise en charge (pénurie des tests et plan blanc) ne sont bien évidemment pas imputables aux praticiens, il reste que les experts auront à apprécier si la prise en charge globale des praticiens a été conforme, si la reprogrammation de cette endoscopie n’a pas été tardive et si le praticien a correctement informé la patiente de la nécessité de reprogrammer ce geste rapidement.
Le simple fait que la complication soit en en lien avec l’intervention chirurgicale ne dédouane bien évidemment pas le médecin gastro-entérologue de sa responsabilité et les experts auront à déterminer si sa prise en charge antérieure est conforme aux règles de l’art ou s’il a contribué au retard de diagnostic et de prise en charge.
La qualité de l’information délivrée quant au bénéfice/risque du report et la nécessité de reprogrammer le geste sont déterminantes tout comme leur traçabilité dans le dossier médical.
L’existence d’un protocole au sein de l’établissement pour les reprogrammations est évidement un atout important.
Il est important de relever qu’une défense commune et cohérente de l’équipe (gastro-entérologue et chirurgien digestif) est toujours préférable et permet le plus souvent d’écarter la responsabilité de chacun de ses membres.
Pour conclure, si le professionnel de santé ne pourra empêcher ces plaintes, le respect des bonnes pratiques médicales, la qualité de l’information délivrée et la traçabilité de celles-ci dans le dossier resteront des éléments clés permettant d’écarter et limiter leur responsabilité.
Les professionnels de santé doivent se conformer au protocole normalement établi par l’établissement de santé conformément aux dispositions légales et réglementaires.
Toutefois, de nombreux établissements de santé ne disposant malheureusement pas encore d’un tel protocole, il convient de donner aux professionnels de santé les repères utiles issus de la loi Léonetti-Claeys du 3 février 2016.
(https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.docidTexte=JORFTEXT000031970253&categorieLien=id)
Ces dispositions s’appliquent hors urgences vitales imprévues.
Quand peut-on envisager la limitation ou l’arrêt des traitements ?
La limitation ou l’arrêt des traitements ne peut être envisagé que pour éviter une obstination déraisonnable, un acharnement thérapeutique envers le malade.
Cette décision est envisageable lorsque le patient est dans un état au-dessus de toute thérapeutique possible. Cela signifie que les actes peuvent être limités ou arrêtés car ils sont inutiles ou disproportionnés et ne visent plus en définitive qu’un maintien artificiel en vie.
Cela peut notamment être le cas du patient qui est en situation de souffrance insupportable, de souffrance réfractaire aux traitements, alors que son pronostic vital est engagé à court terme.
(Article L1110-5-1 CSP)
(Article L1110-5-2 CSP)
Que recouvre la notion de traitements ?
Les traitements visés par les dispositions légales sur la fin de vie concernent exclusivement les actes qui ont pour seul effet de maintenir artificiellement un patient en vie. Ce sont donc des actes et des soins , en ce compris l’hydratation et la nutrition artificielle.
(Article 1110-5-1 CSP)
Les questions à se poser avant d’envisager la procédure
L’objectif de la loi est de garantir la dignité du patient tout en respectant autant que possible ses volontés concernant ses conditions de vie ou de mort.
Lorsque le patient est conscient, il est en mesure d’exprimer ses volontés. Le médecin devra informer le patient des conséquences de son choix et inscrire l’ensemble de la procédure au dossier médical.
En revanche, lorsque le patient est inconscient, le professionnel de santé doit s’efforcer de rechercher la volonté exprimée par le patient et doit donc se poser plusieurs questions :
Ø Le patient a-t-il rédigé ses directives anticipées ?
En principe, les directives anticipées s’imposent au médecin. Cependant à l’issue de la procédure collégiale, le médecin pourra refuser de les appliquer si elles lui paraissent manifestement inappropriées. Il devra alors motiver son refus d’appliquer les directives anticipées et inscrire sa décision au dossier médical du patient.
Ø A défaut d’avoir rédigé ses directives anticipées, le patient a-t-il désigné une personne de confiance ?
Le médecin doit obligatoirement consulter la personne de confiance dans le cas où le patient n’aurait pas rédigé ses directives anticipées afin et recueillir son témoignage éventuel sur ses volontés.
Ø A défaut de la désignation d’une personne de confiance, est-il possible de connaitre les volontés du patient par des témoignages de la famille et/ou de proches ?
Dans le cas où aucune personne de confiance n’a été désignée, la famille et les proches du patient devront être consultés, et éventuellement l’équipe de soins.
(Article L1111-4 CSP)
(Article L1111-12 CSP)
Qui peut déclencher la procédure d’arrêt des traitements ?
La procédure collégiale peut être déclenchée :
Ø Soità l’initiative du patient lui-même, de la personne de confiance ou de la famille et des proches du patient, auxquels cas le médecin est tenu de mettre en œuvre la procédure ;
Ø Soit à l’initiative du médecin en charge du patient, auquel cas il sera obligé d’informer le patient ainsi que la personne de confiance ou ses proches.
(Article R.4127-37-2 CSP)
Comment se déroule la procédure collégiale ?
La procédure collégiale consiste en une concertation entre le médecin en charge du patient et l’ensemble des professionnels de santé intervenant dans sa prise en charge. De plus, elle doit inclure, comme consultant, un médecin extérieur à l’équipe et sans lien hiérarchique avec le médecin traitant.
Les soignants se réunissent afin d’évaluer si la situation remplit les conditions fixées légalement. Il s’agit d’une discussion collective entre les différents intervenants.
Les membres de l’équipe de soins doivent apprécier globalement la situation et l’état médical du patient afin de vérifier que l’arrêt des traitements est une décision adaptée au cas d’espèce. Plusieurs questions peuvent donc se poser, et notamment les suivantes :
Ø Le pronostic vital est-il engagé ?
Ø Le patient peut-il encore faire l’objet de traitements utiles ou est-il au-delà de toute thérapeutique ?
Ø Dans le cas d’un patient conscient, sa demande est-elle libre et éclairée et dispose-t-il de la capacité de discernement nécessaire ? La souffrance du patient est-elle réfractaire ou intolérable ?
Ø Le patient a-t-il rédigé ses directives anticipées ? A défaut de les avoir rédigées, quels sont les témoignages de l’équipe soignante ?
A l’issue de cette procédure collégiale, le médecin en charge du patient doit se concerter avec les membres de la famille connus et les proches de ce dernier. Au cours de cette réunion, il doit rendre compte de l’avis de la communauté médicale sur la question de l’arrêt ou de la limitation des traitements concernant le patient.
(Article R.4127-37-2 CSP)
Qui prend la décision finale ?
La décision finale de limitation ou d’arrêt des traitements ne peut être prise que par le médecin en charge du patient à la fin de la procédure collégiale. Il s’agit d’une décision médicale et éthique qu’il prend en responsabilité.
Si en principe les directives anticipées du patient s’imposent au médecin, ce dernier peut refuser de les appliquer dans le cas où elles seraient manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient.
La décision finale d’arrêt ou limitation des traitements doit être motivée et inscrite dans le dossier du patient.
(Article R.4127-37-2 CSP)
(Article L1111-11 CSP)
Quand peut-on appliquer la décision d’arrêt ou de limitation des traitements ?
Après la procédure collégiale, la personne de confiance, la famille ou les proches du patient sont informés de la décision et ses motifs, et ce dans des conditions leur permettant d’exercer un recours utile.
Le médecin ne peut mettre en œuvre la décision d’arrêt des traitements avant que les personnes qu’il a consultées n’aient eu la possibilité effective de former un recours le cas échéant.
Aucun délai n’est prévu dans les textes. On conseillera donc au médecin d’attendre un délai d’au moins trois jours entiers après le jour de la notification de la décision d’arrêt des traitements à la famille avant la mise en œuvre de cette décision.
Le médecin pourra procéder à l’arrêt des traitements à défaut d’avoir été informé par la famille de l’exercice d’un recours.
En effet, les recours prévus contre une décision d’arrêt ou de limitation des traitements par la famille se font par la voie soit d’un référé-suspension (Article 521-1 CJA), soit d’un référé-liberté (Article 521-2 CJA). Il s’agit de requêtes dont l’urgence doit être motivée.
Dès lors, la famille devant exercer son recours en urgence, cela suppose que le médecin en charge ne peut attendre indéfiniment qu’elle le fasse puisqu’il doit, de son côté, tout mettre en œuvre pour soulager son patient.
(Cons.const. 2 juin 2017, Union nat. assoc. de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés, n° 2017-632 QPC § 17)
(CE 6 déc. 2017, n° 403944 § 16)
ATTENTION !!!!!!!!
L’ensemble des étapes de cette procédure doit être retrouvé et tracé au dossier médical !!!!!