Si la responsabilité des professionnels de santé reste une responsabilité personnelle, la prise en charge collégiale des patients est de plus en plus courante et peut être à l’origine d’un partage de responsabilité.
Les faits :
En l’espèce une patiente était adressée par son médecin traitant à un gastroentérologue en raison de pesanteur douloureuse épigastrique.
Après plusieurs consultations, le Dr GASTRO1 posait une indication de CPRE pour une patiente de 89 ans présentant un ictère avec dilatation des voies biliaires diffuse non étiqueté Bili-IRM.
Il confiait avant tout la patiente à son associé le Dr GASTRO2 pour réalisation d’une écho-endoscopie préalable.
Le Dr GASTRO1 informait la patiente des risques de la CPRE et renouvelait cette information lors de son admission au sein de l’établissement de santé.
Le 09 janvier 2019, le Docteur GASTRO 2 pratiquait une écho-endoscopie et notait dans son compte rendu :
« dilatation majeure des voies biliaires intra et extra hépatiques sur un obstacle lithiasique enclavé dans le bas cholédoque ».
Les suites post opératoires immédiates étaient marquées par l’apparition de douleurs abdominales et une oxygénothérapie nasale était mise en place.
Le Dr GASTRO 2 examinait la patiente à 19h45 et était appelé vers 22 heures en raison de la persistance des douleurs, justifiant la prescription de 5 mg de morphine.
Le 10 janvier 2019, la patiente était réexaminée par le Docteur GASTRO 2 aux alentours de 8 heures du matin, qui notait un abdomen tendu et sensible et évoquait immédiatement une perforation post écho-endoscopie, justifiant une demande de scanner abdominal en urgence qui sera réalisé à 9 heures.
Une antibiothérapie à large spectre était prescrite dès 8h10, et mise en place aux alentours de 10 heures.
Le scanner confirmait la perforation située au niveau du deuxième duodénum et d’un épanchement.
Un traitement médical était mis en place compte tenu de la localisation de cette perforation en rétro-péritonéale et de l’âge avancé de la patiente.
Le Docteur GASTRO 2 indiquait qu’il n’existait à ce stade aucun signe de gravité sur le scanner, même si la patiente devait bénéficier d’une surveillance en USC.
La réalisation de la CPRE était bien évidemment annulée par le Dr GASTRO 1 qui passait cependant régulièrement au chevet de la patiente.
Le 11 janvier 2019, le Docteur GASTRO 2 examinait la patiente aux alentours de 8 heures du matin et constatait une amélioration de sa symptomatologie douloureuse, avec un abdomen plus souple, quelques bruits à l’auscultation, mais néanmoins une patiente confuse.
Un sondage était réalisé permettant de constater une amélioration.
Le Docteur GASTRO 1, passant prendre des nouvelles de sa patiente, préconisant un arrêt de l’Acupan.
Le 11 janvier 2019 à 21H30, le Docteur GASTRO 2 était appelé en raison d’un état d’agitation et d’une désaturation.
La patiente était ainsi admise en soins continus pour choc septique et devait malheureusement décéder le 12 janvier.
Les griefs :
La fille de la patiente, n’ayant par ailleurs eu le temps de revoir sa mère avant son décès, déposait une demande d’indemnisation devant la CCI, mettant en cause les 2 gastroentérologues.
Une expertise était confiée à un collège d’expert composé d’un gastroentérologue et d’un infectiologue puis dans un second temps un avis sapiteur était sollicité auprès d’un chirurgien digestif.
La plaignante reprochait aux professionnels de santé, une mauvaise indication, une information insuffisante, la perforation survenue et une mauvaise prise en charge.
Le rapport d’expertise :
Les experts ont validé l’indication qui avait été posée et l’information délivrée pour la CPRE par le Dr GASTRO1, comprenant le risque de perforation.
S’ils ont qualifié la complication survenue d’accident médical non fautif, ils ont néanmoins considéré que la prise en charge de celle-ci n’avait pas été conforme aux règles de l’art.
Selon eux :
« le diagnostic de la perforation digestive post endoscopie a été évoqué par l’examen clinique puis confirmé par la réalisation d’un scanner. Le diagnostic a été conduit conformément aux règles de l’art.
Le traitement de la perforation digestive post-endoscopie n’a pas été conduit conformément aux règles de l’art. Une discussion médico-chirurgicale collégiale de la prise en charge chirurgicale aurait dû être réalisée avec une confrontation des risques bénéfices compte tenu de l’âge, de l’avis de la patiente et de la famille. Ceci n’a pas été réalisé. »
Bien que la complication soit survenue au décours du geste réalisé par le Dr GASTRO2, les experts ont retenu un partage de responsabilité entre les Drs GATRO 1 et GASTRO 2 au titre d’une perte de chance d’éviter le décès, évaluée à 35%.
L’avis de la CCI :
Ce rapport d’expertise a été contesté devant la CCI qui a suivi notre argumentation et a considéré au terme de son avis en date du 16 janvier 2020 :
« …la commission considère qu’en l’espèce il n’est nullement établi qu’une reprise était réellement indiquée et préférable à la voie suivie par les praticiens en cause, en considération notamment de l’âge de la patiente et des risques propres à une intervention de reprise. Certes le fait de ne pas demander d’avis chirurgical est critiquable, mais ce seul fait ne permet pas de retenir en l’espèce l’existence d’une abstention fautive constitutive d’une perte de chance d’éviter l’évolution défavorable de la complication.
Dès lors, il convient de retenir que Madame BELAY a été victime d’un accident médical non fautif indemnisable par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale. »
Conclusion
Ce dossier illustre une nouvelle fois la position aujourd’hui retenue par les experts et un nombre croissant de juridictions dans l’hypothèse d’une continuité des soins assurée par différents médecins et surtout, la nécessité d’adopter une défense commune et cohérente de l’équipe.
Il est à noter que les deux gastroentérologues, assurés par l’intermédiaire de deux compagnies d’assurance distinctes - et donc défendus séparément - ont dans un premier temps envisagé une défense personnelle, centrée exclusivement sur leur prise en charge.
Le Dr GASTRO 1 s’étonnait notamment de sa mise en cause dans ce dossier, considérant que la complication étant en lien avec le geste réalisé par le Dr GASTRO 2, seule sa responsabilité était susceptible d’être discutée.
Le Dr GASTRO 2 considérait pour sa part qu’une prise en charge collégiale était intervenue avec le Dr GASTRO 1 qui n’avait pas plus que lui estimé nécessaire de solliciter un avis chirurgical.
L’axe de défense principal retenu a cependant été la défense commune et la contestation des conclusions expertales sur la nécessité d’une reprise chirurgicale et ses éventuelles conséquences.
En effet, si le Dr GASTRO 1 n’a effectivement pas accompli d’acte technique, il a néanmoins participé à la prise en charge de cette patiente comme en attestent ses passages au chevet de la patiente tracés au dossier.
C’est sur la base de ces éléments que les experts ont considéré qu’il aurait pu solliciter un avis chirurgical au même titre que le Dr GASTRO 2.
Il est en effet fréquent que les experts reprochent aux praticiens l’absence de discussion collégiale qui aurait permis, selon eux, de rectifier ou de mettre en évidence plus rapidement un diagnostic de complication et de traitement et imputent globalement à l’ensemble des praticiens une part de la perte de chance qui est finalement retenue.
Si en l’espèce, nous avons pu mettre hors de cause les 2 gastroentérologues en démontrant qu’une reprise chirurgicale ne s’imposait pas et qu’il était difficile d’établir une quelconque perte de chance, notre arme de défense la plus efficace reste là encore, la traçabilité dans le dossier de chacun des passages, des constatations cliniques et des discussions collégiales qui ont pu survenir selon le cas d’espèce.
Il est acquis qu’une fois transféré en SSPI, le patient est sous la surveillance immédiate de l’IADE ou de l’infirmière spécialement formée à cette surveillance, sous la responsabilité médicale d’un médecin anesthésiste réanimateur à proximité et pouvant intervenir dans les plus brefs délais.
Qui est responsable en cas de défaut de surveillance en SSPI : l’infirmier de SSPI, le médecin anesthésiste, les deux ?
Deux cas exposés ci-après, riches d’enseignements, ont donné lieu à des arrêts de Cours d’Appel confirmés par la Cour de Cassation (Cour d’Appel de DOUAI, 23 mai 2013 11/05434 ; Cour d’Appel de DOUAI, 4 avril 2019 19/199).
1. Deux cas exposés
1er cas :
Dans les suites d’une adenoïdectomie conduite sous anesthésie générale par SEVORANE, une enfant de trois ans était transférée en SSPI.
A son arrivée et bien qu’il soit noté dans le compte-rendu opératoire que le réveil de l’enfant avait été constaté sur table, l’infirmière de SSPI notait que l’enfant n’était pas conscient et ne répondait pas à la stimulation.
Aucun monitoring ou surveillance particulière n’était mis en place, à l’exception d’un saturomètre.
Dix minutes plus tard, vraisemblablement, l’enfant présentait un laryngospasme aigüe entrainant rapidement un arrêt cardiaque.
L’infirmière de SSPI prévenait l’anesthésiste qui venait immédiatement et retrouvait l’enfant cyanosé en arrêt cardio-respiratoire.
Il mettait en œuvre les mesures de réanimation et l’enfant état transférée dans un service de neurologie pédiatrique en état de coma végétatif.
La Cour d’Appel a retenu une perte de chance totale de 99% répartie à parts égales entre le médecin anesthésiste réanimateur et l’infirmière.
Elle considéra :
- D’une part, que le médecin anesthésiste-réanimateur avait été imprudent en transférant l’enfant trop précocement en SSPI « au lieu de la garder encore quelques minutes pour s’assurer que, lors de l’arrêt de l’administration du mélange du Sévorane avec le protoxyde d’azote, l’hypoxie ne se prolongeait pas et continuer la ventilation en oxygène ».
- D’autre part, que l’établissement de santé engageait sa propre responsabilité du fait de la négligence de son infirmière salariée de SSPI, laquelle n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires afin d’assurer une surveillance efficace, et donc conduit au retard de diagnostic et de prise en charge :
« Attendu que pour autant la Clinique Z ne saurait denier toute responsabilité de l’infirmière présente en salle de réveil alors qu’il ressort des éléments sus rappelé que l’enfant n’était pas pleinement réveillé lors de son arrivée dans cette salle, l’infirmière aurait dû prendre toutes les précautions nécessaires pour assurer une surveillance maximale et ne pas se contenter d’un saturomètre ; que peu importe que les instructions sur la feuille que X lui avait été transmises aient été ou non pré-imprimées et n’aient pas visé le cas spécifique de Y, car en tant que professionnelle (elle a elle-même indiqué qu’elle travaillait depuis 12 ans en salle de réveil) elle devait connaître les précautions élémentaires à prendre et brancher l’ensemble du monitorage »
Il convient de préciser qu’il avait été relevé en l’espèce que le médecin anesthésiste réanimateur était, au moment des faits, du fait de la défection imprévue d’un de ses collègues, en charge de 3 salles d’opérations.
2ème cas :
Une patiente ayant bénéficié de la pose d’une prothèse de hanche sous anesthésie générale était admise en SSPI intubée et ventilée, sans monitorage de décurarisation préalable en salle d’opération.
L’infirmière en charge de la SSPI décidait, sans juger nécessaire de faire appel à l’anesthésiste réanimateur, d’extuber la patiente, sans préalablement s’assurer de la décurarisation.
Vingt minutes plus tard, l’IADE du MAR, en arrivant dans la SSPI pour y conduire un patient suivant, constatait immédiatement un arrêt cardiaque de la patiente et appelait le médecin anesthésiste réanimateur, lequel intervenait immédiatement.
La patiente était ensuite transférée dans un autre établissement où il était constaté un coma anoxique aréactif.
Pour retenir la responsabilité du médecin anesthésiste réanimateur, la Cour d’appel a considéré que l’absence de monitorage des effets résiduels du curare par l’anesthésiste avait favorisé les circonstances de survenue de la complication :
« Attendu, sur l’analyse du comportement du praticien anesthésiste, que l’expert judiciaire retient à l’encontre du Docteur X l’absence de mise en œuvre des bonnes pratiques recommandées par la SFAR, plus précisément l’absence de monitorage de la curarisation et partant l’absence d’administration d’un produit antagoniste en cas de curarisation résiduelle ;
(…)
Qu’il est encore acquis que l’anesthésiste, dont les obligations professionnelles demeurent envers le patient à son admission en salle de réveil, se devait d’informer le personnel infirmier spécialisé non seulement de l’utilisation au cours de l’intervention d’un produit dérivé du curare, ce qui normalement doit apparaître sur le document qui suit le patient du bloc opératoire à la salle de réveil, mais bien davantage aviser ce personnel de l’absence de recherche d’une éventuelle curarisation résiduelle comme l’absence d’administration d’un produit antidote, soit autant de précautions utiles pour le personnel auquel l’extubation été déléguée, cette manœuvre ne suscitant de la part du Docteur X ni même de l’établissement de santé la moindre discussion ;
Qu’il s’ensuit que par sa propre carence et la méconnaissance des Recommandations de bonnes pratiques cliniques publiées dès 2002 par la SFAR, le Docteur X a créé les conditions de survenance de l’accident anesthésique dont a souffert Mme Y en salle de réveil ».
Pour retenir également la responsabilité de l’établissement de santé du fait du comportement de son infirmière salariée en SSPI, la Cour a constaté qu’une surveillance efficiente dans les minutes suivant l’extubation aurait pu permettre d’éviter le dommage :
« Que [l’expert judiciaire] décrit du reste, indépendamment des fautes mises en exergue contre le praticien anesthésique, un indéniable défaut de surveillance de la part du personnel infirmier de la salle de réveil que les données de la séquence de monitorage enregistrée mettent en évidence de manière édifiante, ce qui suggère un comportement fautif particulièrement lourd de ce personnel, un suivi constant des données du moniteur cardiovasculaire permettant de repérer immédiatement une éventuelle complication.
Qu’il n’est à ce sujet pas discutable que les manquements du personnel de la salle de réveil à ses obligations de surveillance et de vigilance, indépendamment des reproches nourris contre le praticien anesthésiste, sont patents et que leurs conséquences pour Mme Y se sont révélées dramatiques et irréversibles, l’expert judiciaire rappelant en son rapport que des gestes simples et adaptés de la part d’un personnel vigilant permettaient de parer toute complication sans même devoir envisager une nouvelle intubation ; »
Il convient ici de préciser que, dans cette affaire, l’anesthésiste réanimateur avait eu l’heureuse initiative de procéder immédiatement à des captures d’écran de monitorage (il n’y avait pas d’impression papier sur ledit matériel), qui ont permis de rétablir la chronologie exacte des constantes, révélant un arrêt cardio respiratoire quasi immédiat après extubation, en contradiction totale avec les constantes tracées par l’infirmière de SSPI…
2. Une même solution : une responsabilité partagée 50/50 entre l’anesthésiste et la Clinique, en retenant des fautes pour chacun
Dans chacune de ces deux affaires, les défaillances du personnel infirmier font suite à des défaillances propres au médecin anesthésiste réanimateur.
3. Quels enseignements à tirer ?
La responsabilité médicale est une responsabilité personnelle et individuelle, chacun répond des conséquences de sa propre prise en charge, mais les défaillances de l’un peuvent contribuer aux défaillances de l’autre.
Les Tribunaux ont toujours une extrême difficulté à ne retenir que la responsabilité du personnel infirmier, bien qu’il ait ses compétences et responsabilités propres, et cherchent toujours à savoir s’il n’y a pas lieu de retenir également la responsabilité du médecin dont le personnel infirmier dépend.
Si dans les deux cas exposés, on voit bien que la carence de surveillance du personnel infirmier a été la cause essentielle et principale du dommage, les juges ont retenu néanmoins la responsabilité pour moitié de l’anesthésiste réanimateur dont la prise en charge n’était pas indemne de tout reproche.
Ce partage de responsabilité n’est pas inévitable, d’autant que nous savons bien le rôle principal et déterminant de la surveillance par le personnel infirmier en SSPI.
Pour que celle-ci soit le centre de l’attention des experts puis des juges, cela suppose une prise en charge de l’anesthésiste réanimateur exempte de tout reproche.
Cela suppose donc :
- Une traçabilité précise et complète de la prise en charge du MAR sur la feuille d’anesthésie
- Une traçabilité des consignes de surveillance en SSPI, qui peut être faite en référence à des protocoles de surveillance selon les types d’anesthésie et/ou de chirurgie réalisées (avec ou sans curare, monitorage de décurarisation avant extubation par l’infirmière en SSPI, constantes de référence impliquant appel systématique et immédiat au MAR etc…)
- Une traçabilité de la surveillance infirmière en SSPI et la conservation des constantes monitorées
- Enfin et bien évidemment, nous rajouterons la disponibilité immédiate de l’anesthésiste réanimateur pour répondre à un appel d’un infirmier SSPI, disponibilité qui sera toujours mise en cause explicitement ou implicitement s’il est établi qu’il était en charge de plus de deux programmes opératoires sans renfort anesthésique qualifié.
Telles sont les conditions qui permettront, en cas de défaillances du personnel infirmer en SSPI, de ne retenir que la seule et entière responsabilité de la Clinique.